• UN BEAU DIMANCHE APRÈS-MIDI

    Au début des années 1970, j'ai vécu avec ma famille à Yaoundé, au Cameroun.  Comme tous les coopérants, nous nous mêlions peu à la population locale, partagée entre le ressentiment envers ses anciens maîtres européens et la distance respectueuse que provoquent inévitablement les trop grands écarts de richesse.

    Le Cameroun était un pays très pauvre à cette époque ; on n'y avait pas encore découvert de pétrole et l'État était gangrené par la corrupton.  La ville grouillait de malheureux, pour la plupart handicapés, qui tendaient la main en psalmodiant "Allah karim", c'est-à-dire : "la charité au nom de Dieu".  Au début, on donne tant qu'on peut ; mais à la longue, on s'endurcit.  Parce que c'est un puits sans fond.  Et parce qu'il y a aussi de faux infirmes.

    Un jour, nous étions attablés à la terrasse des "Boucarous", l'un des meilleurs restaurants de la capitale, fréquenté surtout par des Blancs.  À une table voisine, un gros monsieur rougeaud à la mine patibulaire, seul, lisait un journal en fumant un énorme cigare.

    Ayant échappé à la vigilance des employés, un aveugle entreprit de faire le tour des tables et parvint à celle du liseur.  Quand il formula sa requête, l'homme fit la sourde oreille.  Le mendiant répéta, en haussant légèrement la voix : "Allah karim, cadeau!"

    C'est alors que le bouledogue, excédé, posa brusquement son journal et, avec un ricanement sadique, écrasa son mégot dans la main tendue.

    Je n'oublierai jamais les hurlements de douleur; l'odeur de chair grillée mêlée à celle, fétide, du mauvais tabac.

    Alertés par les cris, les garçons accoururent.  On chassa le mendiant, tandis que son bourreau s'éloignait en maugréant.

    On fêtait mes onze ans ce jour-là.  Pour la première fois, j'ai eu honte d'être blanc.

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  • Commentaires

    1
    Espritouvert Profil de Espritouvert
    Mardi 12 Avril 2011 à 05:06

    Bonjour Appel,


    J'ai également vécu à Yaoundé mais un peu plus tard soit en 1987 et la pauvreté ainsi que la mendicité y régnaient encore bien qu'il y ait une classe richissime qui vivaient dans leurs merveilleuses villas et les pauvres qui avaient des maisons de terre battue. J'ai visité des coins horriblement pauvres et quand on dit que la misère est moins pénible au soleil, c'est sans compter le paludisme, le cida et autres horreurs et c'est vrai que cette misère si on y est sensible peut nous dévorer tout rond. J'aimais cependant me promener le samedi dans le marché pour y observer la vie du peuple et c'est pour connaître à fond les us et coutumes des pays étrangers que je me suis engagée dans ce genre de boulot. Je comprends combien vous avez été choqué de la cruauté de ce client envers le mendiant et je me serais insurgée d'un tel manque d'humanité.


    Vous savez quoi : je trouve que vous êtes un homme très humain et très bon et je suis bien heureuse de pouvoir vous lire. Vos propos m'encouragent. Merci.

    2
    Mexicaine
    Mercredi 13 Avril 2011 à 06:30

    Le gros monsieur, on dirait celui de Tintin, dans le Lotus Bleu.

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