• Oussama Ben Laden : pourquoi?

    Ainsi, l'ennemi public numéro un, l'homme le plus recherché de la planète, a été abattu dans une opération de commando menée sans autorisation par des soldats états-uniens au Pakistan.

    Passons sur l'arrogance de la superpuissance qui s'arroge le droit, encore une fois, d'intervenir en territoire étranger sans même en aviser les autorités locales.  Après tout, les États-Unis avaient sans doute de bonnes raisons de se méfier du gouvernement d'Islamabad, qui fait mine de lutter contre le terrorisme mais doit aussi ménager les susceptibilités de sa population, en grande partie favorable à Al Quaïda, aux taliban et à l'islamisme radical.  D'ailleurs, si Oussama Ben Laden a pu vivre dans cette immense villa fortifiée pendant toutes ces années sans être inquiété, à deux pas d'une prestigieuse académie militaire pakistanaise, c'est qu'il a vraisemblablement bénéficié de complicités en haut lieu.

    Néanmoins, cette opération de police menée tambour battant par un commando d'élite des Marines soulève bien des questions.  La première, et la plus importante : pourquoi l'avoir tué?  Et pourquoi s'est-on débarrassé de son corps avec tant d'empressement?

    Bien sûr, personne en Occident ne va pleurer sur le sort d'un chef terroriste qui s'est rendu responsable de la mort de milliers d'innocents.  Néanmoins, si cet homme était bien le criminel tant haï et tant craint qu'on nous dépeint depuis plus de dix ans, celui qui tirait les ficelles du terrorisme international et orchestrait des attentats meurtriers par dizaines, n'eût-il pas été judicieux de l'interroger longuement, de le confronter, de chercher à en apprendre le plus possible sur son entourage et sur les rouages de son organisation?  En quoi sa mort rend-elle le monde plus sûr aujourd'hui?

    J'ai le plus grand respect pour le président Obama; mais je suis scandalisé de l'entendre dire que "justice a été rendue".  Quelle sorte de justice s'accommode ainsi d'une exécution sommaire?  Qu'est-ce que c'est que cette conception de la "justice" digne des plus mauvais westerns?

    Justice n'est pas rendue quand on exécute froidement un homme désarmé -- quels qu'aient pu être les crimes de cet homme par ailleurs.  Dans une société de droit, les mêmes règles doivent s'appliquer à tous, sans exception, sous peine d'ouvrir la porte à l'arbitraire et à la barbarie.  Si nos sociétés démocratiques se sont dotées de codes civils et criminels, c'était, entre autres, pour mettre un terme aux guerres privées, vengeances personnelles et autres vendettas qui ont ensanglanté les âges obscurs de notre civilisation -- et qui sévissent encore, malheureusement, en plusieurs points du globe.

    L'esprit de vengeance n'a rien de commun avec l'esprit de justice; ce sont deux termes qui s'excluent mutuellement.

    Je conçois qu'Obama avait désespérément besoin d'un coup d'éclat pour relancer sa popularité en chute libre, et qu'il a trouvé ce moyen commode -- et fort efficace, apparemment -- pour regagner le coeur des électeurs en flattant leurs plus bas instincts.  Mais cette explication ne me satisfait qu'à demi.

    Se pourrait-il qu'on ait délibérément réduit Ben Laden au silence parce que trop de personnages haut placés, aux États-Unis et probablement en Arabie Saoudite, avaient tout à craindre des révélations qui auraient pu faire surface dans le cadre d'un éventuel procès?

    On sait, entre autres, que la famille Bush était très proche de la famille Ben Laden, avec laquelle elle brassait de grosses affaires.  On sait aussi qu'Oussama Ben Laden était en grande partie une créature de la CIA, qui l'a soutenu et formé au temps de la guerre entre l'Afghanistan et l'URSS.  (On peut lire, à ce sujet, Ben Laden -- La vérité interdite, l'excellent ouvrage des journalistes français Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié, disponible en poche chez Folio.)  Mais il reste encore énormément de zones d'ombre dans cet imbroglio politico-militaire sur fond d'intérêts pétroliers.  Ben Laden aurait certainement pu nous en apprendre davantage à ce sujet; malheureusement, "on" l'a fait taire à tout jamais.

    Qu'on me comprenne bien : je ne crois pas aux théories de la conspiration.  En fait, j'exècre les conspirationnistes autant que tous les autres gourous sectaires, et pour les mêmes raisons : ils exigent qu'on les suive aveuglément sur un acte de foi.  Ce en quoi ils ne font qu'imiter, au fond, l'attitude de nos dirigeants dans trop de dossiers cruciaux.

    Je ne crois pas, par exemple, que les attentats du 11 septembre 2001 aient été planifiés ou orchestrés par des dirigeants états-uniens.  Un complot d'une telle ampleur aurait forcément laissé des traces; des langues, inévitablement, auraient fini par se délier.  Or, dix ans plus tard, personne n'a pu produire le début de l'ombre d'une preuve convaincante pour étayer cette hypothèse farfelue.

    On ne saurait conclure pour autant que tout a été dit sur les tenants et les aboutissants de ces horribles attentats.  On ne peut que constater l'instrumentalisation qu'en a fait le gouvernement Bush, dans les mois qui ont suivi, pour justifier ses interventions militaires en Afghanistan et surtout en Irak -- ainsi que l'adoption d'un train de mesures "d'urgence" qui ont eu pour effet de réduire considérablement les droits et libertés des citoyens de leur propre pays.  À l'attaque terroriste menée contre les États-Unis sur leur territoire, ce gouvernement scélérat a répondu par une attaque en règle contre la diplomatie et contre la démocratie; l'histoire s'en souviendra.

    Et voilà que dix ans plus tard, on nous jette au visage le cadavre de l'homme qu'on croit responsable des attentats du 11 septembre...  Pas même un cadavre, en fait, puisqu'on s'est dépêché de le jeter à la mer -- qu'avait-on tant à redouter d'une éventuelle autopsie?  On nous présente un spectre; un ectoplasme; un fantôme; on refuse de nous montrer ne fût-ce qu'une simple photographie de son corps; et on nous demande de croire sur parole à son exécution.  Bref, on exige de nous... rien de moins qu'un acte de foi.

    Dans les heures et les jours qui ont suivi l'annonce, la pilule était un peu difficile à avaler.  Des porte-parole d'Al Quaïda ont confirmé, depuis, la mort de leur chef.  Soit; on prêtera donc foi aux déclarations d'Obama et des militaires états-uniens.  Mais on aurait aimé en savoir plus long.

    Après la Deuxième Guerre mondiale, quand l'État d'Israël, encore balbutiant, a monté ou soutenu de petites opérations de commando, avec des moyens très modestes, pour mettre la main au collet des criminels de guerre nazis, ce n'était pas pour les abattre, mais bien pour les traîner devant les tribunaux.  Il eût été relativement facile, par exemple, de loger une balle dans la tête d'Adolf Eichmann, sinistre coordonnateur du massacre systématique de six millions de Juifs européens; personne, là encore, n'aurait pleuré sur son sort.  Mais les autorités israéliennes ont estimé, avec raison, qu'il était préférable de lui faire un procès -- pour l'obliger à répondre de ses crimes, d'une part, mais aussi pour tenter de comprendre l'abominable mécanique qui avait mené à ce désastre et contribuer ainsi, autant que possible, à éviter qu'une telle chose ne se reproduise dans l'avenir.

    En agissant de la sorte, les Israéliens ont aussi démontré qu'ils étaient infiniment plus civilisés que leurs bourreaux de la veille, lesquels n'avaient pas pris tant de précautions pour tuer des millions de malheureux.

    On nous dit que nous sommes au coeur d'une guerre à finir contre le terrorisme; la plus grande puissance économique et militaire que le monde ait connue, disposant de troupes d'élite et de l'équipement le plus moderne, a l'occasion de capturer le chef terroriste le plus craint et recherché de notre temps; et on ne trouve rien de mieux à faire que de l'abattre sur-le-champ et faire disparaître son cadavre dans les heures qui suivent?

    Je ne crois pas aux théories de la conspiration; mais je n'exclus pas qu'il existe, dans les hautes sphères du pouvoir, des complots, des magouilles et des vérités cachées.  En se débarrassant si précipitamment de Ben Laden, n'a-t-on pas voulu, avant tout, faire taire de façon définitive un témoin gênant?  La question, en tout cas, mérite d'être posée.

    Je ne crois pas aux théories de la conspiration; mais dans cette affaire, le gouvernement des États-Unis aurait voulu les alimenter qu'il n'aurait pas agi autrement.


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