• Lettre ouverte à Pauline Marois

    Madame,

     

    Je suis devenu indépendantiste à quatorze ans, plus précisément le 15 novembre 1976.  Depuis que je suis en âge de voter, j’ai toujours appuyé le Parti québécois – sauf une fois, où je vous ai fait faux bond au profit de Québec solidaire.  Je vote pour l’indépendance et j’y crois encore, quoi qu’en disent les fossoyeurs de rêves.  Il faut souvent plus d’une génération pour amener de si grands changements, et je suis persuadé que la cause de l’indépendance du Québec est loin d’avoir dit son dernier mot.

    Si j’ai accordé ma confiance au PQ pendant toutes ces années, c’est aussi pour une autre raison, peut-être plus fondamentale encore : ce parti m’apparaissait comme un modèle de démocratie, un lieu où les voix dissidentes pouvaient se faire entendre, et où le dialogue et la persuasion primaient sur la coercition.  Bien sûr, cette situation amène aussi son lot de tiraillements et de dissensions internes, et diriger le PQ ne doit pas être une tâche de tout repos.  Là où vos adversaires politiques et de nombreux commentateurs voient un signe de faiblesse, voire un défaut de structure originel, je vois au contraire la marque d’une organisation vivante et dynamique, où la base militante continue de jouer un rôle actif et y est encouragée, au lieu d’être bâillonnée comme dans la plupart des autres partis politiques provinciaux et fédéraux.

     

    Ma confiance à l’endroit du PQ a parfois été mise à rude épreuve, notamment au milieu des années 1980, à l’époque du « beau risque », quand le parti a flirté avec une sorte de néo-fédéralisme, ou encore vers la fin des années 1990, quand Lucien Bouchard et, dans une moindre mesure, Bernard Landry lui ont imprimé un net virage à droite.  Mais je n’ai jamais été plus profondément déçu que par la tristement célèbre « affaire Yves Michaud », alors qu’un gouvernement du Parti québécois s’est acharné à salir la réputation de cet honnête homme et éminent citoyen du Québec sous de fausses accusations.  Ce jour-là, je me suis dit que les « souverainistes » n’avaient décidément pas besoin d’ennemis, puisqu’ils se poignardaient si allègrement entre eux.  Aujourd’hui encore, votre refus obstiné de vous rétracter et de présenter des excuses à Monsieur Michaud reste à mes yeux une tache hideuse sur la feuille de route de la députation du Parti québécois.

     

    Néanmoins, je n’ai aucune animosité envers vous personnellement, et je serais sincèrement ravi de vous voir accéder au poste de première ministre.  Je ne doute pas de vos compétences, et je n’adhère absolument pas à l’espèce de caricature de châtelaine altière qu’on se plaît à faire de vous dans les médias.  Femme de tête et battante, je vous sais aussi femme de cœur et d’écoute, et j’espère que vous aurez la chance de faire vos preuves dans les plus hautes fonctions de l’État québécois.

     

    Je dois cependant vous faire un aveu : depuis un certain temps déjà, mon vote pour le PQ est avant tout « stratégique ».  Je continue de voter PQ parce que c’est le seul parti souverainiste qui ait déjà exercé le pouvoir et qui ait des chances de le reprendre à brève échéance, mais je me sens beaucoup plus d’affinités avec Québec solidaire, dont les prises de position correspondent davantage à mes valeurs et à mes convictions profondes.

     

    Ainsi, j’aurais aimé vous voir emboîter le pas à Amir Khadir en refusant d’imposer précipitamment une loi bâillon contre toute contestation éventuelle de l’entente survenue entre le maire de Québec, Régis Labeaume, et le président de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, sur la gestion du futur amphithéâtre de la capitale nationale.  Une mesure dont le but avoué est d’amadouer Gary Bettman, le capricieux et détestable président de la Ligue nationale de hockey, dans l’espoir qu’il consentira enfin à déménager à Québec l’une ou l’autre des concessions de sa ligue qui périclitent sous le soleil du Sud des États-Unis, au pays des palmiers et des cactus.  S’il est une leçon que le PQ aurait dû tirer de l’affaire Michaud, c’est bien que voter une mesure législative dans l’urgence, sans prendre le temps de réfléchir ni de s’informer, est à proscrire en toutes circonstances.  À plus forte raison si ce vote porte sur la suspension de droits fondamentaux comme ceux de s’exprimer publiquement, de contester et d’ester en justice.

     

    Je ne comprends pas ce que vous faites en si triste compagnie.  Le maire Labeaume est un apprenti dictateur qui se méfie des médias presque autant que Stephen Harper et reste désespérément sourd à toute voix dissidente; Monsieur Péladeau, grand casseur de syndicats et ennemi déclaré de toute entreprise d’État (surtout dans son champ d’activité) règne sans partage sur un puissant empire médiatique qu’il gère comme un royaume privé, imposant à tous sa volonté de droit divin.  Ces deux-là s’agenouillent devant un Napoléon de carnaval qui s’enivre de son propre pouvoir, exerçant un odieux chantage pour obtenir que des fonds publics soient détournés au profit de son industrie milliardaire – et le PQ serait prêt non seulement à cautionner ce marché de dupes, mais même à verrouiller l’entente à double tour en interdisant a priori toute contestation ultérieure?  Qu’est devenu ce modèle de démocratie que représentait pour moi le Parti québécois?

     

    Suspendre les droits des citoyens est une décision très grave et lourde de conséquences; on ne devrait jamais y recourir qu’en cas de crise majeure, à l’intérieur de paramètres bien établis et limités dans le temps, et après avoir épuisé toutes les autres possibilités.  Je suis moi-même amateur de hockey et j’aimerais beaucoup revoir les Nordiques de Québec dans la Ligue nationale un jour; mais je ne vois pas en quoi l’absence d’une équipe de la LNH à Québec constitue, en soi, une crise d’une ampleur telle qu’elle justifie la suspension de droits fondamentaux.  Vous croyez peut-être pouvoir attirer des votes au PQ en tablant sur la passion du hockey que nourrissent les Québécois, mais cette stratégie pourrait bien se retourner contre vous.  Tout récemment, aux dernières élections fédérales, Gilles Duceppe a commis l’erreur d’acquiescer sans réserves à la « liste d’épicerie » du maire Labeaume et la stratégie n’a guère été payante – c’est le moins qu’on puisse dire.  Ce n’est évidemment pas le seul facteur qui explique la déconfiture du Bloc québécois mais, en tout cas, ça ne l’a pas empêchée.

     

    Si nous, Québécois, payons de plus ou moins bonne grâce des impôts et des taxes extrêmement élevés, c’est pour maintenir des infrastructures et des programmes sociaux dignes d’une démocratie moderne – notamment un accès universel à une éducation et à des soins de santé de qualité, et un certain niveau d’équité sociale.  Ce n’est pas pour que notre argent durement gagné serve à enrichir encore davantage des milliardaires comme Pierre Karl Péladeau et les propriétaires d’équipes de la LNH.  Comme le dit si bien Monsieur Khadir, si Monsieur Péladeau tient tant que ça à son amphithéâtre, il a certainement les moyens de le faire construire lui-même.  Rien qu’avec les salaires qu’il vient d’économiser au Journal de Montréal en mettant à la porte les neuf dixièmes de sa salle de rédaction, il devrait pouvoir financer en bonne partie son propre aréna Quebecor sans avoir à puiser dans un Trésor public déjà mis à mal par une dette stratosphérique, des systèmes d’éducation et de soins de santé exsangues, des infrastructures qui tombent en ruines et un filet de sécurité sociale qui craque de partout.

     

    Que cet odieux projet de loi ait été piloté par le PQ, voilà qui dépasse l’entendement.  Je ne suis pas du tout disposé, pour ma part, à signer un chèque en blanc à MM. Labeaume, Péladeau et Bettman en leur remettant les clés du Trésor public québécois, et je suis sûr que la majorité de mes compatriotes pensent comme moi – mis à part quelques excités du bocal qui tueraient père et mère pour ramener leurs chers Nordiques à Québec.  Moi aussi, je souhaite que les Nordiques renaissent de leurs cendres un jour; mais ce que je désire plus encore, pour l’instant, c’est que vous me donniez des raisons de voter pour vous la prochaine fois que j’en aurai l’occasion.  Faites-vous si peu de cas de nos droits, pour être prête à les sacrifier si promptement sur l’autel du Profit et du Divertissement?

     

    Je ne dis pas que le projet de construire un nouvel amphithéâtre à Québec est un mauvais projet, ni même que l’entente entre Quebecor et la Ville de Québec est une mauvaise entente; en fait, je n’en sais rien et il m’est plutôt difficile de me faire un avis sur la question, puisque l’information ne filtre qu’au compte-gouttes.  Voilà justement pourquoi il est essentiel, tant qu’on n’en saura pas plus long à ce sujet, que nous puissions continuer à poser des questions et à contester, avant d’accepter qu’une part aussi appréciable de l’argent de nos taxes et de nos impôts y soit investie.  Si le PQ prend le pouvoir aux prochaines élections, quelle sera son attitude à l’égard des droits des citoyens du Québec?  Céderez-vous toujours aussi facilement à cette tactique du couteau sur la gorge chère au maire Labeaume et à tant de capitaines d’industrie?  Qui allez-vous encore chercher à réduire au silence, dans quelles circonstances et pourquoi?

     

    Les ententes secrètes et les lois bâillons sont indignes d’une démocratie, et un grand parti comme le PQ – qui réclame à bon droit, depuis plusieurs années, une commission d’enquête sur les liens présumés entre l’industrie de la construction, le crime organisé et certaines officines de l’État – devrait se dissocier sans équivoque de ce genre d’agissements.  En ne le faisant pas et, même, en vous y associant plutôt, vous apportez des arguments à tous ces détracteurs du mouvement souverainiste qui n’hésitent pas à mettre en doute notre attachement à la démocratie, et vous m’incitez fortement à porter ailleurs mes loyautés et mon vote.


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  • Commentaires

    1
    Mexicanne
    Mercredi 25 Mai 2011 à 05:25

    Cela fait quelques années que je crois que la souveraineté, en soi, ne peut pas avoir un seul parti. Quand on est de gauche, on ne peut pas voter Bouchard. Quand on est de droite, on ne peut pas voter pour un parti soutenu par des syndicats.

    Aussi, au vu de la tournure que prend le paysage politique d'aujourd'hui, il me semble que la solution viendra de la proportionnelle. Trois partis me semblent souverainistes : QS à gauche, le PQ  au centre, l'ADQ à droite. 

    Je jurerais que, si tous les souverainistes du Québec avaient la possibilité de voter selon leurs convictions (gauche, droite, centre + souveraineté), le cap des 60% serait largement atteint.
    À défaut de proportionnelle, un accord de coalition ferait aussi l'affaire. À voir.

    Ces trois partis, unis pour l'occasion, pourraient aisément et avec succès demander l'accord du peuple québécois sur la souveraineté. La guerre gauche/droite, social-démocratie/libéralisme/libertarisme reprendrait après.

     

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