• « Gerry » : déception

    J’ai tant aimé Offenbach et Gerry Boulet, ils ont pris tellement d’importance dans mes jeunes années, et je les ai vus de si nombreuses fois sur scène, dans toutes sortes de conditions, que j’attendais ce film avec impatience.  J’aurais voulu pouvoir en dire le plus grand bien; affirmer qu’il m’avait ému autant que Dédé à travers les brumes (Jean-Philippe Duval, 2009) dont j’étais ressorti en chialant comme un veau.  Malheureusement, Gerry n’est pas à ranger dans la même catégorie.  Pas du tout.

             Allons-y d’abord de quelques fleurs : la distribution est à la hauteur.  Les acteurs sont généralement justes et bien choisis, notamment la toute belle Capucine Delaby, excellente dans le rôle de Françoise Faraldo, la compagne de Gerry. Mario Saint-Amand livre une prestation convaincante dans ce rôle casse-gueule, malgré l’extrême minceur du scénario.

             Ce film était supposément adapté de la biographie que Mario Roy a consacrée au chanteur il y a une vingtaine d’années (Gerry Boulet – Avant de m’en aller, éd. Art Global, 1991).  On eût mieux fait de respecter le plan initial de l’ouvrage, qui commençait dans une chambre d’hôpital où Gerry émergeait du coma, et retraçait sa vie à travers une série de réminiscences impressionnistes entrecoupées de scènes de séjours à l’hôpital, de traitements de chimio et d’agonie.  Le procédé n’est pas d’une originalité folle, mais il a le mérite d’offrir une perspective, un point focal à partir duquel l’histoire peut rayonner et se déployer.

             Ce film n’est pas un biopic : c’est une hagiographie.  Pour un long-métrage consacré au plus turbulent des rockers du Québec, il manque singulièrement de sexe, de drogue… et même de rock & roll, bien que la musique de Gerry y soit omniprésente.  Le même traitement aurait mieux convenu, sans doute, à un film pieux sur le saint Frère André destiné au public des salles paroissiales et des centres d’accueil.  Le Gerry qui nous est présenté là ne ressemble en rien à celui qu’on aimait et admirait.  On dirait un gentil toutou doublé d’un amoureux transi.  Un Gerry version Disney.

             Gerry Boulet, le vrai, n’était pas un être facile à aimer, malgré son immense talent de chanteur et de musicien.  Au fond de son cœur, il nourrissait sans doute beaucoup de respect et même d’affection pour ses chums de musique, mais il avait le don de les humilier publiquement et de les écoeurer par ses mesquineries.  Colérique, tyrannique, enclin aux lubies et aux prises de tête, parfois violent, imprévisible, il était comme chien et chat avec Willie, avec Wézo, avec Pierre Harel, et il commençait à prendre McGale en grippe vers la fin d’Offenbach.  Il était sûrement très amoureux de Françoise, et même de Denise avant elle, mais il les a trompées à tour de bras, quelquefois l’une avec l’autre.  Il ne s’est pas contenté de sniffer quelques lignes de coke et de boire beaucoup de bière : il a consommé une multitude de drogues et de boissons diverses, en quantités déraisonnables, dans une spirale destructrice et suicidaire qui aurait pu l’emporter avant que le cancer ne le batte de vitesse.  « Homme à femmes » et grand amoureux, sans doute, il était aussi un épouvantable macho, souvent à la limite de la misogynie.

             Gerry, on avait appris à l’aimer en dépit de ses défauts, ou peut-être justement à cause d’eux; parce qu’ils le rendaient d’autant plus humain, d’autant plus proche de nous, de nos propres carences, de nos imperfections, de nos excès, de nos médiocrités.  De ce Gerry-là, ce film scolaire n’a rien su montrer.  Ni la grandeur de l’artiste qui atteignait parfois au génie, ni les petitesses de l’homme que sa propre légende dépassait.  Reste une sorte de « Musicographie québécoise » beaucoup trop longue, dont la moitié des scènes semblent de remplissage et auraient pu sans dommage être coupées, pendant qu’il y manque l’essentiel – un vide criant à chaque séquence, à chaque image.  L’absence vertigineuse de celui qui est pourtant le sujet du film.  Un rendez-vous manqué.

             Ceux et celles qui connaissent peu Gerry, et ne l’ont réellement découvert et apprécié qu’avec Rendez-vous doux, y trouveront peut-être leur compte; mais pour avoir dansé sous la pluie au pied d’Offenbach dans un stationnement du centre-ville de Montréal et avoir vu le groupe triompher, quelques années plus tard, au vieux Forum, et l’avoir applaudi de nombreuses autres fois, je dois dire que je ne me suis jamais autant ennuyé de Gerry qu’en regardant ce film qui lui était consacré.  Le grand film sur Gerry Boulet, sa vie et son œuvre reste à faire.  D’ici deux ou trois ans, hélas, il ne restera pas grand-chose du Gerry d’Alain Desrochers.   


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